Ici, on peut créer

Catégorie,

À Marseille comme ailleurs, les points de vente des promoteurs immobiliers tapinent sur le trottoir en attendant le client qui se laissera séduire par l’attrait d’un bonheur illusoire. Certes, le secteur privé est capable aujourd’hui de construire massivement des logements et il faut bien composer avec, mais le désir de profit entrave souvent toute réflexion vertueuse.

La typologie du « 3 fenêtres marseillais », traversant, haut de plafond et parfaitement symétrique dans son axe transversal, est un exemple de flexibilité. Ici, chaque palier de cage d’escalier distribue au maximum 2 logements à la géométrie régulière, là où il en distribue jusqu’à 9 en promotion immobilière grâce à un découpage en plan digne d’un circuit imprimé.

Ici, on peut inverser l’orientation d’une cuisine, d’un séjour ou d’une chambre, là où la complexité du plan originel ne permet aucune évolution. Ici, on peut créer une mezzanine pour accueillir un nouvel enfant, là où le logement plafonne à 2,50 mètres. Ici, on peut diviser son appartement en deux dans le sens de la longueur, abattre ou ajouter une cloison entre deux fenêtres, là où l’absence de générosité des surfaces ne permet aucune modification de partition. Ici, on peut ajouter aisément un balcon sur cœur d’îlot, là où les façades décoratives et bardées d’ITE ne permettent rien de simple. Ici, on peut acheter le logement de son voisin du dessus et percer facilement le plancher bois pour faire passer un escalier, là où le béton règne en maître. Ici, on peut même transformer son logement en agence d’architecture, là où personne ne voudrait travailler, faute d’espace et de lumière.

Cette flexibilité est bien la grande absente du tout-venant des opérations de promotion immobilière. Les logements continuent à se construire avec des recettes économiquement éprouvées par les investisseurs, sans qu’ils ne se soucient réellement de la qualité des espaces qu’ils produisent ni des besoins à venir de chacun des habitants pris au piège des crédits immobiliers.

Là encore, la question de la qualité du patrimoine légué se pose. Sans générosité et avec une intelligence constructive bridée au nom de la rentabilité, pourrons-nous être fiers demain des ruines que l’on fabrique aujourd’hui ?

Tribune parue dans le numéro 427 de l’Architecture d’Aujourd’hui, octobre 2018